Ode à la turbine
Après avoir construit un tambour de polissage alimenté par une turbine, nous nous sommes livrés à un autre type de bricolage : du bricolage de mots. Ainsi fut écrite l’ode à la turbine (!) Il s’agit d’un exercice de style visant à utiliser le plus grand nombre possible de mots rimant avec turbine.
L’histoire est celle d’un bougre au tempérament contestable, à l’hygiène de vie également discutable et qui souffre de déprime chronique. Il croit trouver sa rédemption dans une occupation noble (la fabrication d’une turbine) et son moral s’améliore mais voila les ennuis qui rappliquent par le biais d’une menace s’abattant sur sa nouvelle machine. Comment cela va-t-il finir…?
Nous avons choisi un style truculent pour souligner la manière de penser plutôt rustre du protagoniste, ses mauvaises habitudes et ses imperfections mais aussi pour dépeindre son humanité profonde et son appréciation des petits bonheurs tous simples. Peut-être le lecteur se prendra-t-il d’affection et peut-être même se reconnaîtra-t-il dans ce personnage qui, bien qu’il succombe à ses mauvaises habitudes et à l’attrait des solutions expéditives, est aussi animé par une tendance, somme toute incongrue, qui le pousse à s’amender.
Ode à la Turbine
Quand j’ai le moral qui décline
Je pense à tata Ursuline.
C’est une vigoureus’ rouquine,
Une grand’ farceuse, une coquine
Facétieuse et taquine,
Rieuse, à la grand’ bouche équine…
Le secret d’son humeur badine
C’est avant tout un’ bonn’ routine,
Du travail et d’la discipline.
Voila bien ce qui élimine
La mélancolie et le spleen.
Paraît qu’c’est la meilleur’ méd’cine,
Qu’ça vaut tous les tubes d’aspirine.
C’est vrai ! Ca et une bonne chopine…
L’espoir au fond de la ravine,
Je me suis dis : “Ecout’ tantine
Sinon tu iras à ta ruine
Et vers tout c’qui s’y confine
Comme ces malheureux qui s’avinent
Avec de la mauvaise bibine…”
* *
*
Dev’nu adepte de la doctrine
D’ma tante à la bille chevaline,
Pour r’trouver ma joie d’origine
J’ai une occupation divine :
Je réalise une turbine !
A l’heure où les sœurs capucines
En cœur s’en vont chanter matines
J’sors d’mon lit comme d’un trampoline.
J’prends ma caféin’, une tartine,
Et je pèle une mandarine.
Paraît qu’ c’est plein de vitamines …
Puis, vêtu de ma gabardine
J’enjamb’ la rivière cristalline
Et prends le chemin des collines.
Parmi les abeill’ qui butinent
Et les animaux qui trottinent
J’sens ma psyché qui s’ réanime.
Dans les bois qui fleurent la résine
Je cueille quelques avelines.
Enfin, j’m’assois et j’examine
Les éoliennes subalpines
Comm’ mon crayon promèn’ sa mine
Sur les plans de ma turbine.
C’est fou qu’une marotte anodine
Tant de plénitude achemine.
J’en parl’rai à la Mélusine
La fille de mon oncle (ma cousine)
Celle dont le cœur se calcine
Pour un militaire à sardines…
* *
*
Après des semaines de gésine
La mécanique se termine.
L’élégante merveille insigne
A l’allure svelte et féminine
Trône, fière, près de la vigne
Où ses longues ailes rectilignes
Tournoient dans le vent, dignes…
Sous ses planches que le temps patine
Ses rouages de bois toupinent
Et jouent une gaie sonatine.
Les engrenages tambourinent ;
On dirait d’la musique latine
Mais tout douc’ment, tout en sourdine…
Après la pluie elle s’illumine,
Paill’tée telle une aventurine
Sous la lumière qui l’enlumine
Au-d’ssus des ombres qui la soulignent.
C’est beau qu’j’en crois pas ma rétine.
J’en oublie mon foie qui m’lancine…
Mais ma douc’ mie se parchemine.
Triste est sa figure amandine
Et plus pâle sa teinte ivoirine.
Elle dit qu’la bécane m’embéguine,
Que j’la dodine et l’embob’line
De mes attenti-ons câlines.
Ma turbine la rend saturnienne.
(Bah, ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine…)
* *
*
Vingt dieux ! C’est pas vrai ! J’hallucine !
Qu’est-ce que je vois qui s’agglutine
Sur le chef-d’œuvre ? Ils m’enquiquinent !
Des oiseaux d’une espèce mesquine,
Pérégrine et clandestine !
Oh, je trépigne et je piétine.
J’ai une poussée d’adrénaline…
Ça c’est bien un truc qui m’fascine !
Pourquoi faut toujours qu’on m’bassine
Et qu’les ennuis j’me les coltine ?
Ces bêtes, sur mon ouvrage fouinent
Et bien sûr elles le contaminent
D’immondes matières alvines…
* *
*
Pour protéger ma turbine
Des déjections colombines
J’ai sorti ma carabine.
Ça plait pas à ma concubine.
Y-a qu’à voir sa pauv’ trombine :
Elle a plus sa min’ chérubine…
C’est sûr qu’elle est d’humeur chagrine.
J’vois bien ses yeux qui m’incriminent.
Elle aime les bêtes, même la vermine
La plus nuisible et mâtine.
Elle veut pas que j’les ratatine.
Ouais, mais moi j’m’obstine…
Car ces bestiaux j’les abomine !
Il convient que j’les extermine !
Il faut just’ que je détermine
De quelle façon j’les assassine.
Mais déjà un plan se dessine
Pendant qu’amer je rumine
Jusqu’à c’que ma colère culmine…
J’imagine la scie égoïne
Faisant office de guillotine !
Et un bidon de gazoline
En guise de nitroglycérine !
Une belle explosion purpurine,
Des lambeaux couleur grenadine…
* *
*
Bon, c’est pas tout, faut pas qu’ j’ lambine.
Je dois passer à la cabine
Puis au jardin ou ma bine
M’attend au pied de l’églantine.
Sinon on dira qu’j’me débine
D’vant les racines et les épines…
Mais j’garde un œil sur la vermine
Depuis mon carré d’aubergines.
Déjà j’en vois deux qui s’dandinent
Sur la cheminée sarrasine.
Ils s’croient ben des bêtes malignes !
Mais j’ai trouvé la bonne combine.
J’te dis qu’ils vont s’prendre une bigne…
* *
*
Quand y-a quelqu’ chose qui me turlupine
Moi j’sors dare-dare la chevrotine.
C’est la solution enfantine
A laquelle je les destine.
Attends un peu que j’dissémine
Du plomb sur ces bestioles crétines.
Elles m’causent des douleurs intestines,
Ben va leur falloir des rustines…
Ah! Les oiseaux qui m’embobinent
Moi, ça m’échauffe l’hémoglobine !
Bon sang mais qu’est-ce qu’ils s’imaginent ?
Ils finiront dans un tajine
(C’est une recette maghrébine).
D’avanc’ j’m’en lèche les babines.
Avec du rouge comm’ ça s’combine !
(Mais ça m’détraque mon albumine…)
* *
*
Je rentre car voilà la bruine.
D’abord j’passe nourrir mes lapines
Puis j’fil’ direct dans ma canfouine,
Où de derrière la courtine,
Je retire quelques pralines.
(C’est là que j’les emmagasine,
Derrière les boîtes de naphtaline…)
C’boucan ? c’est l’fusil qui fulmine !
Ouah, les pigeons, ça dégouline !
Va falloir qu’on les épépine
Si-on veut pas s’péter les canines.
Ce hurlement dans la cassine ?
Ça c’est mon épouse qui couine.
J’y vais et je la baratine…
* *
*
Au final on fait une terrine.
Moi j’dis qu’ça vaut bien les verrines,
Les ballottines, la galantine…
Faut pas grand chose pour qu’on festine.
On mange pas d’nourritur’ surfine
Et pas dans d’la porc’lain’ de Chine.
(Tant qu’on finit avec un gin…)
Alors j’dis à ma benjamine :
“Ils t’ font pas d’ça à la cantine !”
Elle est bien d’accord, elle opine
En agitant sa tête blondine.
Dans le four les légumes gratinent.
Encore vingt minutes et on dîne.
Qu’est-ce qu’elle cuisine bien mimine…
Après l’repas, sur la platine
Je pose un disque de mandolines.
Comme dit notre amie Antonine
Ça fait ambiance “gréco-latine”.
J’comprends pas tout c’qu’elle baragouine
(Elle est très savante, elle bouquine)
Alors parfois faut que j’devine…
Dans l’village c’est notre héroïne.
Elle est infirmière et vaccine
Nos enfants et la race bovine.
Elle détecte dans les urines
Les moindres traces de protéines
(Et même les sympathiques toxines
De nos régionaux casse-poitrines…)
Pendant ce temps, la belle machine,
Industrieuse petite usine,
Imperturbablement mouline
Sur la pergola qu’elle domine.
Comme dit la frangine:
“C’truc c’est pas ‘out’, c’est ‘in’.
Et pis ça pollue pas, c’est ‘green’.”